Lettre janvier 2022
Chers professeurs, chers élèves,
Le premier jour de l’année est passé. Nous sommes sûrs à présent qu’il y aura une autre année. Cette formulation peut vous paraître bizarre mais, la tradition voulait que l’on ne fasse pas de projet tant que ce premier jour n’était pas advenu.
A présent, nous pouvons nous projeter dans 2022 et y représenter ce que l’on souhaite que notre vie devienne.
Oui, c’est bien ce que signifie « se projeter » et toute la cohorte de mots « planifier » « programmer » « organiser » « prévoir » etc…
L’homme s’est toujours interrogé à propos de son devenir et a cherché à savoir, par différents moyens ce que serait son avenir.
Auspices, astrologie, prédictions en tout genre occupent une place importante dans la vie de l’humain moderne. Les moyens pour prédire ont changé : météo, sondages, enquêtes préliminaires à une décision. L’astrologie occidentale et chinoise a résisté et continue à nous parler de demain, du futur, de l’avenir en nous associant à un signe. C’est peut-être ce lien avec un signe auquel on peut se rattacher qui lui a permis de se maintenir. Pouvoir se reconnaitre dans la prédiction n’est-il pas essentiel ?
Cette année est l’année du tigre. Animal omniprésent dans l’histoire de l’humanité, vénéré pour sa force, sa souplesse, sa vitesse, sa puissance et la manière dont il incarne l’intelligence des forces naturelles.
Alors que la cinquième vague de covid handicape notre capacité à travailler librement, à vivre naturellement, à échanger entre nous comme nous l’avons toujours fait, nous pourrions sombrer dans une sorte de déprime, tout au moins de pessimisme. C’est pourtant la posture la moins favorable pour envisager l’avenir. Et si nous nous mettions du côté de notre allié, le tigre, pour regarder notre avenir proche. Allié ?
Savez-vous que le tigre est présent à Kurama Dera, le temple auquel nous sommes liés par amitié, le temple dont Tanaka Sensei était le calligraphe, temple dans lequel notre grande amie Kofude Misako est née et y succède à Tanaka sensei.
Savez-vous que pour établir mon hanko (ci-dessous), j’ai consulté trois spécialistes et que tous les trois ont traduit mon nom de famille par : « Le tigre est tapi dans le pré ».
Le Japon est le pays champion de l’analyse des sonorités linguistiques. Le koto tama est omniprésent et Kobayashi sensei s’y référait très souvent. Quand on prononce un mot, qu’entend-on ? Par exemple, il analysait de la manière suivante « Ai Inochi Chie » qui constitue ce qu’il désignait en accord avec O Sensei Ueshiba, comme le vrai monde, Ji Sekai :
A de akeru « ouvrir » ; akarui « brillant, lumineux ; Au (prononcez a-ou) « harmoniser, rencontrer » et I de ikiru, « vivre » ; inochi, « la vie» ; iru « être».
Donc pour lui, la vie commençait avec Ai et c’est pourquoi Inochi venait tout de suite après. Il décomposait Inochi en I no Chi, c’est-à-dire, chi « énergie », no « de », I « lumière », autrement dit « la vie est le résultat de l’expression du ki par la lumière ». Enfin, chie (prononcez Tchi é). Chi, « énergie », é « la forme » la représentation du chi. Chie signifie l’intelligence en japonais, ce qu’il interprétait comme l’intelligence universelle.
Vous pouvez comprendre l’importance qu’il y a à transcrire un nom propre en idéogrammes qui se prononcent comme ce nom propre. C’est un travail complexe dont seuls quelques experts sont capables.
Alors puisque le tigre s’exprime dans mon nom (regardez la beauté du pictogramme choisi par ces spécialistes), j’ai l’intention de le faire feuler dès maintenant et je vous encourage à faire de même. Cette année sera formidable, au sens étymologique du mot. Le quarantième anniversaire de 3AKH sera l’occasion de réaffirmer nos valeurs, nos objectifs, et de construire l’avenir.
J’ai dit lors de l’inauguration du dojo que nous le construisions pour les élèves des élèves de vos élèves pas encore nés. Il faut donc que nous soyons assez forts pour faire entendre notre message dans les siècles à venir. L’aikijinja fera entendre l’âme de Kobayashi sensei et l’esprit du Kobayashi Ryu, le dojo témoignera de la force de votre engagement. J’avais dit lors de son inauguration en 2003 que ses murs résonneraient de vos cris, de vos halètements et rendraient l’odeur de vos sueurs constamment renouvelées. Le dojo aura vingt ans l’an prochain et nous allons encore et encore l’embellir, le charger de messages pour les futurs pratiquants. Ceux qui ne sont pas venus au dojo depuis plus de trois semaines vont avoir une belle surprise en y revenant, et pourtant, ce n’est que le début. Nous allons travailler à inscrire dans la matière et dans le paysage la puissance de la pratique et le renouveau qu’elle apporte sans cesse. Le nouvel an est le signe que tout est toujours neuf si nos esprits renaissent constamment. S’appesantir sur un virus, se plaindre de sa condition, se lamenter à propos de ce que l’on ne reçoit pas, tout cela n’est ni la posture d’un budoka ni celle du tigre. Il va nous accompagner toute l’année et restera toujours notre allié, s’exprimant chaque fois que l’on apposera le hanko officiel de KRA sur un diplôme, un document officiel, une simple lettre.
Je veux remercier très sincèrement tous ceux qui ont fait des dons pour la construction de l’aikijinja et tous ceux qui le feront bientôt. Sachez que les engagements pour cette construction ont été pris, bien que nous n’ayons pas atteint le montant correspondant à l’enveloppe de travaux mais je crois en vous tous et je sais que nous allons y parvenir. Vraiment, merci pour votre générosité.
A propos, le petit dojo, Dojo Vasquez s’est enrichi d’un triptyque dont le tigre et le dragon sont les protagonistes surplombant le moine. La peinture est datée du début Edo. Il fallait bien que les choses soient dites clairement. Le dragon est un signe de bouleversement et comment pourrions-nous nous renouveler constamment sans cette force ? Mais comment ne pas être détruit par elle sans la puissance du tigre ? Savez-vous que dans le Dojo Tanaka qui fait office de bureau, une calligraphie est exposée depuis plusieurs années et qu’elle dit ceci : « Même le tigre et le dragon doivent parfois se mettre d’accord ». Nous en sommes là.
Grâce à vous tous, nous allons harmoniser ces forces pour obtenir le renouveau constant et la pérennité de notre Hombu Dojo et de notre école.
Je vous souhaite à tous une année exceptionnelle, extraordinaire, surnaturelle, au cours de laquelle vous pourrez feuler à souhait. Que chacun de vos cris construise la vie dont vous osez rêver.